pieds
Pour faire les pieds... avec, en tête, Le Chat Botté de Thomas Fersen...
***
Le
jour, je m’appelle Jules Marin…
Le
jour, je suis donc un simple Jules, efficace et discret compagnon
d’une petite commerçante de province, et qui ne semble vivre qu’à
travers elle. On dirait que je m’attache à rester dans son
sillage, dans son ombre ; tout le monde constate que je lui
obéis au doigt et à l’œil, que je la suis pas à pas. Adèle a
dû me choisir en tenant compte de mon apparence et de mon allure !
Je passe partout, bien propre, ni laid, ni beau, tout sauf
remarquable, impossible à convoiter, présentable sans risque. Dans
la boutique, je représente pourtant l’élément mâle
indispensable, pratique, la botte secrète que l’on sort quand il
faut dynamiser la vente. La patronne m’appelle en dernier recours
pour convaincre l’indécise à qui je donne mon avis. D’une voix
sirupeuse, apaisante, encourageante, mais sûre et virile à point,
je me répands en compliments sur un pied plat rendu « gracieux »,
des semelles compensées si « confortables », un talon
qui « affine vraiment » le mollet, un bout pointu qui
assure un certain « style », une bride qui « relève
merveilleusement » ce modèle classique… Puis je m’efface,
je réintègre ma boîte, pardon ma place, derrière la caisse, où
je finaliserai la transaction quelques minutes plus tard et
gratifierai la cliente d’un ultime sourire. Les affaires se portent
bien, un peu grâce à moi tout de même ; les jours s’écoulent
dans une répétition tranquille et le défilé quasi permanent de
dames plus ou moins affriolantes ; l’équilibre se maintient
dans notre magasin, ouvert tout le jour et justement appelé « Aux
pieds Marin » !
Cependant
je m’y ennuie…
La
nuit, c’est autre chose… depuis cette fois où, par hasard ou
désœuvrement, j’essayai cette sandale féminine à pompon dont la
languette rose et si douce procura à mon cou-de-pied une sensation
formidable. Du coup j’enfilai la paire ; je me revois
déambuler dans la réserve en prenant des poses devant le miroir
ébahi ! Le soir j’avais emporté ma sensuelle trouvaille à
l’appartement et attendu jusqu’au dimanche suivant… Lorsque ce
jour-là Adèle partit à la messe, dont elle était une fidèle, je
lui empruntai un dessous combiné assorti et me chaussai des
voluptueux souliers. Mon reflet fut une révélation. De week-end en
week-end, j’ai ensuite travaillé ma tenue jusqu’à un résultat
plus que satisfaisant à mes yeux, résolu à me pimenter un peu
l’existence. Adèle faisait peu de cas de nos nuits depuis belle
lurette, nos partages et ébats nocturnes s’étaient réduits et
espacés jusqu’au néant total, aussi je partis bientôt chaque
soir à l’aventure, bien tranquillement. Le poker devenant à la
mode, j’ai quand même prétexté l’ouverture d’un nouveau club
au bout de la presqu’île pour m’évader sans qu’Adèle ait le
moindre soupçon. La nuit, désormais, je parcours la confluence en
devenir, entrouvrant mon imperméable pour exhiber mes atours coquins
devant les passants intéressés, et il y en a ! A ceux qui
m’accostent, je révèle mon nom de gloire, Rose Langue, en hommage
à la mule couleur tendre qui un jour m’avait ouvert au plaisir. Je
m’exhibe et les suis… La nuit, vous avez compris, je prends mon
pied !
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